Face aux difficultés économiques engendrées par la chute des tarifs publicitaires et à l’augmentation du nombre d’utilisateurs de bloqueurs de pub, la question devient chaque jour plus d’actualité pour les médias en ligne : le salut se trouve-t-il dans le modèle payant ?
La récente action du GESTE contre les adblockers a vu le débat se polariser entre deux uniques positions : les « pro-pub » défendant le modèle actuel (dont il faudrait simplement corriger les dérives) et les « anti-pub », dont la réponse se résume à : il faut passer à un modèle payant.
Du « gratuit » financé par la pub
Le problème posé par un modèle 100% financé par la publicité est la grande dépendance du média face aux annonceurs, et le risque de le voir finalement vendre de l’audience aux annonceurs au lieu de vendre de l’information aux lecteurs, avec la qualité d’information qui en découle. Pour être indépendant des annonceurs et pouvoir résister à leur pression, il faut donc que les revenus publicitaires ne représente qu’un complément de revenu pour le média. C’est d’ailleurs le modèle qui a longtemps prévalu dans la presse écrite : le journal est financé par ses lecteurs, la publicité apportant une source de revenu supplémentaire, permettant par exemple de réduire légèrement le prix du numéro.
Ce modèle économique hybride est largement rependu dans la presse papier, y compris dans des publications dont l’indépendance rédactionnelle n’est pas à démontrer ((Par exemple : le Monde Diplomatique, Canard PC, Politis)), mais à de rares exceptions près, le modèle est absent du net. Toute offre payante vient en remplacement total de la publicité.
Pourtant, bien plus encore que la simple présence de publicité ou son absence, ce qui fait l’indépendance d’un média, c’est l’indépendance des journalistes par rapport au(x) propriétaire(s) du média. Et dans le système politique actuel, où dans une entreprise tout le pouvoir appartient à ses propriétaires, les journalistes d’un média ne peuvent être indépendants que si le média leur appartient. Si le média appartient à des actionnaires externes, leur objectif sera la recherche d’influence ou de profit (ou les deux, si possible), et fera donc inévitablement sauter toutes les limites à la publicité, comme on le voit aujourd’hui sur Internet, mais aussi sur de nombreuses publications papier.
Le retour du payant
Les exemples de succès financier de sites ayant optés pour un modèle payant sont nombreux. On peut citer par exemple Médiapart (rentable en 3 ans) en France ou le New York Times et le Wall Street Journal aux États-Unis.
Le retour du payant semble d’ailleurs être une tendance de fond aux Etats-Unis, comme le montre une étude récente de l’American Press Institute : 77 des 98 principaux journaux en ligne américains proposent une offre payante, contre 6 il y a 5 ans. Les médias qui se lancent aujourd’hui peuvent se poser la question du modèle économique avec plus de recul que les acteurs déjà en place pour qui un changement de modèle est plus compliqué, après des années d’investissement dans le modèle économique 100% publicitaire.
Bien que très divers dans leur ligne éditoriale et parfois dans leurs thématiques, la particularité des sites ayant optés pour un modèle principalement payant est de miser sur un contenu journalistique de grande qualité. On imagine en effet assez mal un « site de buzz » miser sur un modèle payant. Le modèle payant tire donc vers le haut la qualité de l’information.
Les limites du 100% payant
Pour toutes les raisons évoquées précédemment, le modèle 100% payant semble séduisant et il possède indéniablement de véritables arguments, mais sa généralisation n’est pas non plus la situation idéale d’un point de vue démocratique.
D’une part, si pour s’informer correctement, il faut dépenser entre 5 et 20€ par mois pour chaque média (médias généralistes mais aussi médias spécialisés dans les thématiques qui intéressent tout un chacun), cela veut dire que pour s’informer correctement, il ne faut pas être pauvre. Si tous les médias de qualité basculent sur un modèle 100% payant, les pauvres s’informeront sur des sites à clics ou en lisant Direct Matin de Bolloré, pendant que les riches maintiendront leur domination sociale grâce à une information de meilleure qualité …
D’autre part, au-delà de la question financière, le passage de l’ensemble des médias à un modèle intégralement payant accélérerait le phénomène de bulles d’information, déjà important du fait des réseaux sociaux. En étant connecté principalement à des sources d’informations proches de mes opinions (où de celles dont j’ai hérité), je ne reçois que des actualités de média ayant la même idéologie, ce qui me renforce dans mon opinion. Alors qu’être confronté à une plus grande variété de lignes éditoriales favorise l’esprit critique et la qualité du débat démocratique. Si les médias en ligne passent à un modèle payant, non seulement je ne verrais que rarement sur mes réseaux sociaux des opinions opposées aux miennes, mais en plus, je ne pourrais pas y accéder.
Pour combiner la liberté d’accès à l’information, l’indépendance des journalistes et la qualité de l’information, il convient de mener une réflexion globale sur le financement de l’information, qui dépasse le cadre de cet article. On peut cependant citer quelques pistes : refonder un véritable service public de l’information, réorienter les aides à la presse vers des médias structurellement indépendants, mutualiser les services non rédactionnels des médias, créer une licence globale pour les médias en ligne….