Derrière la question du statut juridique du jeu vidéo se pose principalement la question de sa relation avec le droit d’auteur et les questions de « propriété intellectuelle ». Ces questions sont rapidement très techniques. L’objectif de cet article est de se détacher des problématiques techniques pour en dégager les questions et les choix politiques sous-jacents.
Le droit d’auteur régie pour une œuvre les relations entre d’une part l’auteur et l’exploitant (dans le cas du jeu vidéo : le studio puis l’éditeur) et d’autre part entre l’exploitant et le public. Cet article ne traite que de la première relation, de loin la plus simple.
Droit d’auteur contre copyright
La principale caractéristique du droit d’auteur français est que l’auteur doit être rémunéré proportionnellement aux ventes de son œuvre. Ainsi, le contrat entre l’auteur d’un roman et son éditeur doit obligatoirement comporter une forme d’indexation de la rémunération de l’écrivain sur le volume des ventes. Le droit d’auteur implique également un droit moral inaliénable qui accorde en particulier 1 à l’auteur un droit de repentir ou de retrait vis-à-vis du cessionnaire, mais il est dans les faits peu utilisable 2.
Au contraire, la conception anglo-saxonne du « copyright » considère que si un travail est réalisé contre une rémunération, alors l’œuvre en résultant appartient entièrement à celui qui a payé l’auteur. Aucune condition de rémunération n’est fixée par la loi, elle peut être fixe ou proportionnelle selon le contrat qui lie les deux parties.
La conception anglo-saxonne est plus libérale, laissant aux parties le soin de s’entendre librement, alors que la conception française considère que le rapport de force étant déséquilibré, il est du rôle de la loi de protéger le plus faible (ici, l’auteur).
Le choix politique est donc : où placer le curseur entre les droits de l’auteur et ceux du studio ? D’un côté on trouve une réglementation (ou son absence, plus exactement) qui donne de fait tous les droits au studio, de l’autre on trouve une réglementation qui donne tous les droits à l’auteur (ce qui poussé à l’extrême rendrait l’œuvre inexploitable).
Qui sont les auteurs d’un jeu vidéo ?
Dans la conception du droit d’auteur à la française, la question fondamentale qui se pose est donc, concernant les jeux vidéo : parmi l’ensemble des contributeurs effectifs au jeu, qui sont les auteurs de l’œuvre, c’est-à-dire qui marque le jeu de sa personnalité ? Et par opposition donc, quels contributeurs sont uniquement exécutants ?
Aujourd’hui le droit d’auteur est le suivant3 :
- Les développeurs salariés ont un droit d’auteur spécifique aux logiciels qui est largement restreint (en particulier, le logiciel appartient automatiquement à l’employeur)4.
- Les artistes dont le métier existait avant l’invention du jeu vidéo (graphistes, musiciens, scénaristes, interprètes) bénéficient d’un droit d’auteur spécifique à ces métiers.
- Les métiers propres au jeu vidéo (notamment : game designer, level designer, animateur, ergonome) bénéficient du droit d’auteur général, à condition que leur apport matérialisé soit original, ce qui signifie que l’auteur doit avoir une liberté de création suffisante pour que l’œuvre soit marquée de sa personnalité.
Si l’on veut un droit d’auteur pour le jeu vidéo qui respecte la philosophie originale, il est donc nécessaire de définir de manière collective les métiers du jeu vidéo et parmi ces métiers qui sont les auteurs du jeu. Concernant les métiers, le Syndicat National du Jeu Vidéo (SNJV) a établi un référentiel très complet 5 qui pourrait constituer une bonne base pour adapter le droit d’auteur au jeu vidéo.
Pourquoi cela n’a t-il pas déjà été fait ?
Une fois l’arbitrage politique sur la position du curseur entre auteur et studio effectué (sachant qu’il est aussi possible de le laisser où le droit d’auteur français le positionne aujourd’hui), la solution semble assez simple. On peut donc se demander pourquoi cela n’a jamais été fait avant ?
Peu de conflits effectifs
Les cas de conflits entre auteurs d’un jeu vidéo et studios sont rarissimes, les auteurs renonçant à faire valoir leur droits et acceptant très souvent des contrats contraires à leur droits (donc sans validité juridique). S’il existe un manque d’information des auteurs, la principale raison de ce renoncement est incontestablement le rapport de force très défavorable aux auteurs qui découle du marché du travail dans le jeu vidéo en France, avec très peu d’offres d’emploi par rapport aux nombre de candidats.
Pas de remise en cause des intérêts des acteurs en place
Comme indiqué plus haut, la plupart des métiers préexistants au jeu vidéo possèdent chacun leurs particularités en termes de droit d’auteur. Beaucoup sont organisés en France en sociétés de perception et de répartition des droits d’auteur. Le principal problème vient des du secteur de la musique, géré par la SACEM, qui en plus de se goinfrer de manière scandaleuse, demandent des redevances d’un montant complètement inadapté au jeu vidéo6.
La mise en place d’un droit d’auteur adapté au jeu vidéo nécessiterait donc une remise en cause de la position (quasi-)monopolistique des sociétés de perception, et donc plus largement une véritable réflexion sur les questions de droit d’auteur à l’ère numérique. Il est peu probable que le gouvernement actuel en ait la volonté.
L’absence de représentation syndicale salariale
Si la définition du droit d’auteur dans le jeu vidéo ne se fait pas par la loi, on peut imaginer qu’elle se fasse par la création d’une branche professionnelle débouchant sur une convention collective « société de développement de jeu vidéo » (à condition d’avoir défini juridiquement ce qu’est un jeu vidéo). Or, si le SNJV regroupe une grande partie des studios, dont beaucoup de petites structures, il s’agit d’une organisation patronale. Et il n’existe aucune organisation de salariés travaillant dans le jeu vidéo.
Notons également que cette solution excluraient des négociations d’une part les nombreux indépendants du secteur et d’autre part tout le reste de la société, pourtant concernée de près par les questions de droit d’auteur.
Que faire ?
La raison commune plus fondamentale aux trois explications ci-dessus est le poids économique très faible de la création française. Et si l’adaptation du droit d’auteur au jeu vidéo (via la création d’un statut ad-hoc ou via l’adaptation des règles existantes) serait un atout pour la création française, le cœur du problème est économique.
C’est pourquoi, s’il l’on souhaite défendre la conception française du droit d’auteur, il est nécessaire non seulement de défendre la création la française de jeu vidéo, mais aussi de favoriser son développement, en ayant une réelle volonté politique de le faire, et s’en donnant les moyens.
- Le droit moral comporte le droit de divulgation, le droit de paternité, le droit au respect de son œuvre et le droit de retrait ou de repentir. ↩
- L’auteur, même postérieurement à la publication de son œuvre, jouit d’un droit de repentir ou de retrait vis-à-vis du cessionnaire. Il ne peut toutefois exercer ce droit qu’à charge d’indemniser préalablement le cessionnaire du préjudice que ce repentir ou ce retrait peut lui causer. Ce qui se relève en pratique extrêmement improbable. ↩
- Dans la pratique, le droit d’auteur est assez peu respecté par les studios ↩
- A noter que tous les développeurs, même s’ils peuvent indéniablement marquer l’œuvre de leur personnalité comme le développeur en chef de l’Intelligence artificielle du jeu (« lead AI programer ») pour un jeu de stratégie ou le développeur d’effet visuels originaux rentrent dans cette catégorie. ↩
- Référentiel des métiers du jeu vidéo – SNJV, Capital Games, 2012 ↩
- Rapport de monsieur Patrice Martin-Lalande sur le statut juridique du jeu vidéo (2011) page 15. ↩
Ping : Quel droit d’auteur pour le jeu vid&eacut...
Bonjour,
merci pour cet article. C’est rare que le sujet du droit d’auteur soit abordé dans le milieu du jeu vidéo. Je souhaite néanmoins apporter une précision sur la situation aujourd’hui en France des auteurs.
Je lis dans l’article qu’il serait nécessaire d’adapter le droit d’auteur au secteur du jeu via un arbitrage politique, hors cela n’est absolument pas nécessaire dans les faits. Le code de la propriété intellectuelle encadre déjà comme il faut la création logicielle et donc le jeu vidéo.
A titre personnel je suis auteur de jeu vidéo. En pratique je suis travailleur indépendant et je facture des droits d’auteur sur mes créations au titre des cessions de droits que je vends à des tiers. Le service des impôts me considère comme un auteur d’oeuvres multimédia et l’AGESSA qui collecte les cotisations sociales notamment des auteurs de logiciels me permet d’avoir droit à la sécurité sociale des auteurs.
Il n’est nul besoin d’une intervention des pouvoirs politiques pour permettre au secteur du jeu vidéo de respecter le code de la propriété intellectuelle. Ce qui est nécessaire c’est que les acteurs français de ce secteur, les entreprises, les salariés, les indépendants s’efforcent de respecter la loi, et pour commencer qu’ils commencent par s’intéresser à leurs droits et obligations.
Donc le fond du problème n’est pas qu’il y aurait nécessité d’adapter ou de créer un cadre légal nouveau, non le fond du problème c’est que très peu de gens dans l’industrie se posent la question de ce qu’il faudrait déjà respecter comme règles. Les studios qui se satisfont très bien d’une situation totalement à leur avantage, des salariés qui ne s’organisent pas et qui globalement ignorent la problématique et des indépendants qui bien souvent n’assument aucune des responsabilités que suppose leur situation d’entreprise individuelle.
Mais globalement c’est la même chose dans le milieu de la création graphique, de la communication, de la bande dessinée, etc…