Publicité contre bloqueurs de pub – conditions d’un cessez-le-feu

La guerre est déclaré entre les médias financés par la pub et les bloqueurs de pub. A l’initiative du GESTE, une grande action de sensibilisation a eu lieu il y quelques semaines, avec pour objectif de faire désactiver leur bloqueurs aux utilisateurs du site. Évidemment, la riposte n’a pas tardé, et de nombreux bloqueurs ont mis à jour leurs filtres pour bloquer ces messages, des techniques pour continuer d’accéder au contenu du site sont apparues, etc. Bref, après des années à s’ignorer, la guerre est officiellement ouverte.

Adblock, Adblock Plus uBlock Origin

Adblock, Adblock Plus et uBlock Origin

Un cessez-le-feu est-il possible ?

La balle est évidemment du côté de la publicité, qui doit répondre à plusieurs conditions si l’on veut qu’elle soit raisonnablement acceptable. On pourrait aussi avoir une position antipub totale et penser que toute forme de publicité doit disparaitre, mais ce n’est pas ma position. Si l’on pense que certaines formes de publicités sont acceptables, il faut donc comprendre pourquoi de nombreux utilisateurs en viennent à utiliser des bloqueurs de pub.

Tout d’abord, le principal reproche fait à la publicité sur internet c’est qu’elle est gênante pour l’utilisateur. Chaque année voit apparaitre de nouveaux formats « innovants », toujours plus pénibles. Interstitiel sous toutes ses formes, vidéo en autoplay ou déclenchable involontairement, « pushdown », « slide-in », « in-read », « footer-expand », « recommandations éditoriale »…  la liste des « innovations » de l’industrie publicitaire en termes de formats est sans fin, et se fait toujours au détriment de l’utilisateur.

Ensuite, la publicité ralentit énormément le chargement et l’affichage des pages, en particulier sur mobile. D’une part parce que le plus souvent, le poids et le nombre de fichiers nécessaires à l’information sont extrêmement faibles (quelques dizaines) par rapport à ceux utilisés par la pub (des centaines). Avec un adblock, le chargement d’un article d’un média classique peu illustré représente moins d’un Mo, quelques dizaine de fichiers techniques et prend du coup moins d’une seconde pour s’afficher. Sans bloqueur, on peut tout multiplier par 10. La raison ? La multiplication des formats et des intermédiaires techniques ((Une même publicité peut faire appel à un serveur de pub, une plateforme technique du format, une plateforme de vente (SSP), une plateforme d’achat (DSP), des plateformes de données (DMP) et à de nombreux services de statistique et de suivi)), chacun ajoutant ses scripts, générant au final des centaines d’appels publicitaires, des dizaines de Mo, des chargements sans fin et au final des pages très longues à charger et à afficher. Surfer sans bloqueur de pub est donc à la longue une perte de temps.

Enfin, et c’est un aspect souvent négligé, même par exemple par le programme « publicité acceptables » d’Adblock Plus ((Pour laisser passer des publicités, le programme impose des conditions sur le format publicitaire, mais aucune sur des critères de respect de la vie privé, de tracker, etc.)), c’est l’aspect respect de la vie privée. La publicité en ligne carbure beaucoup à la « data », c’est-à-dire aux données sur les utilisateurs, et cela pose de nombreux problèmes.

  1. Comme évoqué précédemment, chaque acteur dans la chaine veut un maximum de données, donc ajoute son tracker, alourdissant au final énormément le poids des publicités.
  2. De nombreux utilisateurs ne souhaitent pas être suivis, or il n’existe pas de moyen simple et correctement respecté pour refuser le tracking. Même la peu ambitieuse mesure « Do Not Track » n’est finalement quasiment respectée par aucun site ((Vers un échec du standard Do Not Track ?, par Hinault Romaric, Développez.com, 29/12/2014)).
  3. La publicité « classique » utilise des cookies pour identifier les utilisateurs, ce qui est un moyen assez rudimentaire, limité à un appareil, et assez facile à remettre à zéro (en supprimant ses cookies). Mais les géants du net comme Google et Facebook, dont les plateformes sont au cœur de nombreux services publicitaires, associent aujourd’hui de nombreuses informations comportementales à des comptes nominatifs, comprenant eux-mêmes déjà des informations très personnelles. Et sur ces informations, le contrôle de l’utilisateur est bien plus difficile qu’au niveau de ses cookies.

Si l’on veut que la publicité soit raisonnablement acceptable, il faut donc qu’elle ne nuise pas à la navigation, qu’elle soit légère et qu’elle respecte la vie privée de l’utilisateur.

Un nouveau paradigme… incomplet

Si la publicité respecte ces conditions, on peut raisonnablement penser que la grande majorité des utilisateurs l’accepteront et cesseront d’essayer de la bloquer. Une fois ce cessez-le-feu bilatéral atteint, comment reprendre sur des bases saines ? Il est illusoire de penser que les utilisateurs vont désactiver leur bloqueurs de pub tant qu’ils pourront consulter le même contenu sans aucune publicité. La solution sera donc des mesures techniques permettant soit de bloquer les bloqueurs, soit de passer outre. Si la publicité ainsi affichée ne pose aucun problème de navigation, respecte la vie privée, et qu’elle est un tant soit peu compliquée à bloquer, la majorité des utilisateurs ne cherchera pas à la bloquer à nouveau.

Or c’est justement la multiplication des intermédiaires qui, en grande partie, fait que la publicité est pénible. Moins d’intermédiaires signifie moins de scripts, moins de cookies, moins de fichiers à télécharger, moins de données utilisateur stockée sur de nombreux serveurs, et moins de formats « innovants ». Or ces nombreux services publicitaires sont connus et facilement bloqués par les bloqueurs de pub ; leur utilisation rend les publicités très facile à bloquer. Un retour à des formats « classiques » vendus sans intermédiaire par le site (ou sa régie directe) est donc facile à « dé-adbloquer » et ne possède pas les propriétés inacceptables de nombreuses publicités actuelles.

Donc au final tout va bien ? Le taux de bloqueurs explose mais les médias vont se ré-orienter vers de la pub acceptable et contournant les adblock, que ces derniers ne chercheront plus à la bloquer ? Non, car d’une part cela ne me parait pas l’hypothèse la plus probable, d’autre part ce nouveau paradigme, s’il me semble souhaitable a un point faible, et pas des moindres : le financement des médias n’y est en général absolument pas assuré. Au vu des tarifs publicitaires actuels, aucun média en ligne sérieux ne peut financer une rédaction uniquement grâce aux revenus de ces formats acceptables.

Les revenus publicitaires ne peuvent donc être qu’une des sources de revenu parmi d’autres. Comment compléter ces revenus pour parvenir à l’équilibre ? Disposer d’une offre payante, réorienter des aides à la presse, mettre en place une licence globale pour la presse en ligne, les pistes sont encore à explorer…

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